Johannes Vermeer ou Jan Vermeer

dit Vermeer de Delft

Johannes Vermeer, la Dentellière
Johannes Vermeer, la Dentellière

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre néerlandais (Delft 1632  – id. 1675).

La découverte de Vermeer

Si étonnant que cela puisse paraître, ce n'est qu'au xixe s. que Vermeer de Delft fut reconnu comme un grand maître de la peinture hollandaise. En effet, tandis qu'un Ter Borch, un Jan Steen, un Jacob Ruisdael jouissaient déjà d'une haute estime (durant les siècles précédents), l'astre Vermeer brille au firmament de la culture picturale européenne seulement depuis peu de temps. Bien que les biographes d'artistes aux Pays-Bas l'aient négligé complètement, il convient cependant de noter que maintes voix élogieuses à son égard se firent entendre déjà au cours du xviiie s., notamment celle de l'expert qu'était J.-B. Lebrun et surtout celle de Sir Joshua Reynolds un des artistes les plus importants de l'école anglaise. Néanmoins, " découvert " dans toute l'acception du mot, le " Sphinx delftois " ne le fut qu'au siècle dernier : l'attention d'écrivains et de critiques d'art — dont Théophile Gautier ainsi que les frères Goncourt — se porta sur lui ; puis, finalement, Thoré-Bürger, ce connaisseur au goût particulièrement fin pour son époque, publia en 1866 ses études sur Vermeer. Gardons-nous toutefois de surestimer la portée réelle de ces essais, qui, en particulier, n'influencèrent en rien Eugène Fromentin.

En revanche, quelques peintres, parmi lesquels François Bonvin et Pissarro, furent profondément impressionnés par Vermeer. Il faudra pourtant attendre le début de notre siècle pour que soient accueillis avec enthousiasme, aux Pays-Bas comme en Allemagne, le langage des formes du peintre, la quiétude poétique de son microcosme, le caractère unique de sa palette et de son " pointillisme ".

Dans les années suivantes, il revint à des poètes et écrivains français de propager la gloire de l'artiste et sans doute, en premier lieu, à Marcel Proust. Vermeer n'est-il pas le sujet des études de Swann, et Bergotte, dans la Prisonnière, n'est-il pas fasciné par " le petit pan du mur jaune " de la Vue de Delft au point d'être frappé d'une crise cardiaque et d'en mourir ?

La vie et les origines artistiques de Vermeer

On connaît peu de chose de la vie de Vermeer, dont le père était aubergiste et pratiquait le commerce de tableaux. On sait pourtant que Vermeer se maria et eut dix enfants, mais il ne semble pas qu'il ait retenu les traits de ceux-ci sur ses tableaux. Nous sommes surtout informés de ses embarras pécuniaires, qui allaient s'aggraver à la fin de sa vie à tel point qu'il lui fallut renoncer à ses activités de marchand de tableaux. Sa veuve ne put s'acquitter des dettes contractées chez le boulanger qu'en lui cédant deux peintures, tandis qu'une autre, l'Atelier du peintre, entra en possession de la belle-mère de l'artiste.

On est surpris d'apprendre qu'un voyageur distingué, le Français Balthazar de Monconys, rendant visite à Vermeer en 1663 et ne trouvant aucune toile de lui dans son atelier, dut aller en chercher une chez le boulanger. Détail paradoxal : une vingtaine d'années après la mort de Vermeer (1696), la majeure partie de son œuvre — 21 tableaux — fut mise en vente aux enchères publiques. Peut-être s'agissait-il là en grande partie de la collection de toiles que, du vivant de l'artiste, un certain imprimeur de Delft, Dissius, avait réunie.

Admis, très jeune encore (en 1653), comme " maître " au sein de la gilde de Saint-Luc de Delft, il fut ultérieurement élu membre du directoire de celle-ci, dont par deux fois, il fut président. Nous possédons des indications précieuses concernant sa formation artistique grâce à un quatrain composé en 1654 par l'imprimeur Arnold Bon à l'occasion de la mort de Carel Fabritius, victime de l'explosion de la poudrière de Delft, où il désigne en quelque sorte Vermeer comme l'héritier de C. Fabritius, disciple le plus génial de Rembrandt et prématurément disparu. L'art lyrique de Fabritius, et sa palette, plus claire que celle de Rembrandt, autant que nous puissions en juger, dénotent une affinité élective avec ceux de Vermeer, affinité confirmée par le fait que celui-ci possédait divers tableaux de Fabritius. Hormis lui, Delft comptait vers le milieu du xviie s. plusieurs peintres d'intérieurs d'églises préoccupés par les mêmes problèmes de lumière et d'espace. Le climat général de la peinture delftoise de cette époque était donc particulièrement propice à la genèse et à l'épanouissement de la vision de Vermeer.

L'œuvre

La production qui est parvenue jusqu'à nous, 35 tableaux, paraît fort réduite. On peut regretter qu'une " nature morte " citée dans la vente aux enchères en 1696 ait disparu. N'est-ce pas précisément dans la " vie silencieuse " que l'on saisit l'essence même de l'art de Vermeer ?

Seuls deux des tableaux de l'artiste sont datés : Chez l'entremetteuse (1656, Dresde, Gg) et l'Astronome (1668, Paris, Louvre). Pour suivre l'évolution de Vermeer, on ne dispose donc que des éléments de style fournis par chacune des toiles et d'une appréciation personnelle de leur qualité.

Les œuvres de jeunesse, comme la Diane et ses nymphes (Mauritshuis) et le Christ chez Marthe et Marie (Édimbourg, N. G.), appartiennent encore au répertoire de la peinture européenne en général et à celui de la peinture italienne issue de Caravage en particulier, dont Vermeer subit l'influence par l'intermédiaire de certains peintres d'Utrecht, à leur retour de Rome. Le tableau de La Haye fait plus ou moins penser à Venise. Quant à celui d'Édimbourg, on croit en avoir retrouvé le modèle dans la peinture napolitaine. Bien qu'intéressantes et équilibrées, ces compositions n'en restent pas moins marginales dans l'œuvre de Vermeer. Même l'Entremetteuse, datée, où l'artiste met en évidence, d'une part, sa dépendance du clair-obscur de Rembrandt et, d'autre part, des solutions plastiques apportées par les caravagistes d'Utrecht, n'est qu'un prélude à l'œuvre de maturité de Vermeer.

Dès lors, l'artiste demeure fidèle aux mêmes sujets : excepté deux Vues de ville, il s'adonne dorénavant à un art de " genre " dépouillé de tout " récit ", où il semble ne rien se passer, encore que des tentatives aient été faites pour interpréter le sens caché de certaines situations. Dans cette série de tableaux, le personnage féminin apparaît le plus souvent rêveur, en train de lire une lettre, soit d'écrire, soit de s'adonner à la musique ou bien de manipuler des perles. Ces femmes sont toujours les protagonistes, les hommes ne jouant que des rôles secondaires. Chronologiquement, on fait débuter cette série par la Jeune Dormeuse (Metropolitan Museum), où les rapports spatiaux paraissent encore assez confus. Puis vient un chef-d'œuvre de jeunesse, la Femme lisant une lettre (Dresde, Gg) : la pose de profil de la liseuse, les reflets de son visage dans les carreaux de la fenêtre, le présence du rideau et le pointillé chromatique, tout préfigure déjà le Vermeer classique.

On porte depuis Reynolds une admiration particulière à la Laitière (Rijksmuseum), figure monumentale, brossée à traits de pâte grasse, avec au premier plan la magistrale nature morte aux pains.

On a encore coutume de considérer comme appartenant à la période de jeunesse de l'artiste la Ruelle du Rijksmuseum, unique dans toute la peinture hollandaise par la sérénité, l'ambiance de rêve qui s'en dégagent. Le peintre allemand Max Lieberman définissait même la Ruelle comme " le plus beau tableau de chevalet qui soit ".

Un certain nombre de toiles ont pour thème commun la musique ; des femmes jouent du luth, de l'épinette ou de la guitare. On considère le tableau avec deux personnages de Buckingham Palace à Londres (Gentilhomme et dame jouant de l'épinette) comme l'œuvre maîtresse de cette série de toiles ; le peintre s'attache avec le plus grand soin à résoudre le problème spatial.

Des peintures telles que la Femme à l'aiguière (Metropolitan Museum), la Femme à la balance, dite la Peseuse de perles (Washington, N. G.), la Jeune Femme en bleu (Rijksmuseum), la Jeune Fille au turban (Mauritshuis), toutes exécutées, croit-on, autour des années 1660-1665, peuvent passer à juste titre pour les sommets de l'œuvre de Vermeer. La Jeune Fille de La Haye apparaît intemporelle, infiniment précieuse et fragile, comme faite d'une matière tenant de la porcelaine et des pétales d'une fleur.

Il faut insister sur la célèbre Vue de Delft (Mauritshuis), panorama de ville comme on n'en retrouve plus dans la peinture européenne du xviie s. et dont la splendeur impressionna Thoré-Bürger et Marcel Proust. Les " points " bleus et jaunes de la touche de Vermeer y scintillent comme des brillants.

On a l'habitude de situer v. 1665-1670 les tableaux comme la Dentellière (Louvre) et Vermeer dans son atelier (Vienne, K. M.), dénommé aussi l'Allégorie de la Peinture. Le contenu énigmatique de ce dernier tableau a donné lieu à maints commentaires sans qu'on ait réussi à se mettre d'accord sur une interprétation définitive. Il semble que dans la production des dernières années de Vermeer il faille percevoir un certain déclin de la puissance créatrice ; en effet, l'Allégorie de la Foi (Metropolitan Museum), conçue et élaborée avec peine, voire méticulosité, fait saisir les limites du génie pictural de l'artiste, qui arrive avec difficulté à rendre le mouvement.

Peintre de la " vie silencieuse " — lumière et couleur

Hostile au goût narratif hollandais, Vermeer tournait résolument le dos à la peinture de genre proprement dite de son siècle. Il semble être aux antipodes d'un Jan Steen. La femme peinte par lui est en général un personnage plongé dans la rêverie et dont la mélancolie anticipe d'une certaine manière sur celle que l'on rencontre chez Watteau et Gainsborough.

Qu'il s'agisse de scènes d'intérieur ou d'extérieur, Vermeer conçoit tout en termes de " vie silencieuse ". Il aurait pu, s'il s'y était consacré, être l'un des plus grands peintres de nature morte du siècle, voire le plus grand, mais les grands artistes des Pays-Bas ont laissé la nature morte aux spécialistes. Les éléments déterminants de son art sont la lumière et la couleur, souvent limitée aux rapports des tons du jaune et du bleu.

Il faut enfin remarquer que bien des poètes, des écrivains et des peintres ont ressenti plus profondément la magie de sa peinture que la plupart des critiques professionnels ; car, dans ses créations les plus heureuses, Vermeer apparaît à la fois comme un peintre et un poète. La Ruelle, la Jeune Femme en bleu d'Amsterdam ou la Jeune Fille de La Haye sont autant d'œuvres intemporelles, qui ne sont tributaires d'aucun style déterminé.

Le goût de notre époque, qui a porté au sommet de la culture picturale européenne Piero della Francesca, Seurat ou Cézanne, ne pouvait que se montrer sensible à l'art du peintre de Delft et, finalement, lui attribuer la place de choix qui lui était due. Tout le monde connaît l'affaire des faux Vermeer de Van Meegeren. Ce que l'on sait moins, c'est que depuis, la critique n'a plus osé s'attaquer à Vermeer de crainte du ridicule, et c'est dommage ; on ne peut vraiment figer l'œuvre d'un peintre, surtout si sa redécouverte est récente. Une rétrospective Vermeer a été présentée (Washington, N. G. of Art ; La Haye, Mauritshuis) en 1995-96.