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Comment La Joconde a été retrouvée

Dessin d'Abel Faivre pour Le Figaro.

IL Y A CENT ANS DANS LE FIGARO - Tous les week-ends, Le Figaro explore ses archives de l'année 1913. Le 13 décembre, le journal raconte en détail comment la Joconde a été récupérée en Italie.

Retrouvez chaque week-end sur lefigaro.fr un fragment de l'actualité d'il y a un siècle, tel que publié à l'époque dans nos colonnes. Une plongée dans les archives du journal pour revivre les événements historiques, culturels ou sportifs… comme si vous y étiez.

• Le Figaro raconte comment un ouvrier italien qui voulait «rendre la Joconde à l'Italie» a été piégé

• À Paris, la mort accidentelle d'un homme malchanceux

• Le chroniqueur judiciaire du Figaros'ennuie et le fait savoir

• Un encaisseur attaqué avec du poivre et une clé anglaise


«La Joconde» retrouvée

Article paru dans le Figaro du 13 décembre 1913.

Le tableau reconnu par le directeur du musée de Florence et le directeur des musées d'Italie.

Le vol était une vendetta!

L'Agence Havas recevait hier, à sept heures, la dépêche que voici:

Rome, 12 décembre 1913.

«Le directeur général des beaux-arts, M. Ricci, a téléphoné de Florence au ministre de l'instruction publique, M. Credaro, que le tableau la Joconde a été retrouvé.

»Le tableau avait été offert à un antiquaire florentin. Celui-ci, ayant conçu des soupçons, avisa M. Poggi, directeur des musées de Florence, qui communiqua la nouvelle à M. Ricci. Celui-ci s'est rendu immédiatement à Florence.

»Le détenteur du tableau est un Italien demeurant à Paris. Il a déclaré, dans un interrogatoire, qu'il a commis le vol au Louvre pour venger tous les rapts commis en Italie par Bonaparte.

»Le tableau est maintenant saisi et déposé à la préfecture de Florence. Il sera transporté à Rome.

»M. Credaro, aussitôt qu'il a connu la nouvelle, l'a communiquée à l'ambassade de France.»

»Il en a fait part aux députés au cours de la séance qui fut de fait un instant suspendue par l'émotion provoquée par cette heureuse nouvelle.

»D'autre part, aussitôt que lui parvint la nouvelle de la découverte de la Joconde, le marquis de San Giuliano, ministre des affaires étrangères, en a avisé M. Barrère, ambassadeur de France, dans les termes les plus obligeants.

»M. Barrère s'est empressé de faire connaître au gouvernement français la communication qui lui était faite.»

La Joconde retrouvée! La nouvelle bientôt se répandait dans Paris, les feuilles du soir criaient les éditions spéciales. Le mystère de Monna Lisa retrouvait son actualité.

Comment «La Joconde» a été retrouvée

Article paru dans le Figaro du 14 décembre 1913.

PLUS DE DOUTE

La preuve par l'empreinte

Ce sont les optimistes qui auront eu raison, et l'heureuse nouvelle est confirmée. C'est bien la Joconde, la vraie Joconde de Léonard de Vinci, la Joconde du Salon Carré, que le gouvernement italien a retrouvée et va nous rendre! La confirmation donnée à notre ambassadeur par M. Credaro, ministre de l'instruction publique, les dépêches arrivées dans la journée d'hier ne permettaient plus aucun doute.

Aujourd'hui, nous avons la preuve matérielle de l'authenticité de la Joconde. C'est une note de l'anthropométrie, communiquée dans la soirée par M. Bertillon qui nous l'apporte.

Après d'autres certitudes, elle lève les derniers doutes.

On sait qu'en examinant le cadre et la vitre de la Joconde retrouvés dans l'escalier qui conduisait de la salle des Primitifs italiens à la cour Visconti, on avait, à l'époque du vol, relevé des empreintes digitales. On sait, d'autre part, que Perrugia, en 1908, avait été condamné par la 10° Chambre pour coups et blessures et port d'arme prohibé. À cette occasion, le service anthropométrique avait pris la marque de ses empreintes digitales.

Or, M. Bertillon, en comparant hier les empreintes digitales de Perrugia avec les empreintes laissées sur la vitre de la Joconde, a trouvé une concordance parfaite entre deux empreintes de pouce -d'un pouce gauche.

Aucun doute n'est plus possible.

Perrugia est bien le voleur de la Joconde, et le tableau offert par lui, à l'antiquaire de Florence, dans des conditions si singulières, est bien le tableau du Vinci, enlevé au mur du Salon Carré.

Mais, peut-être demandera-t-on comment se peut-il faire que M. Bertillon n'ait point eu l'idée de rechercher plutôt à identifier les empreintes relevées sur la vitre de la Joconde. Cela l'eut infailliblement amené à désigner Perrugia et la Joconde était retrouvée aussitôt.

M. Bertillon, interrogé, a expliqué son embarras.

Il y a à l'anthropométrie plus de 750.000 fiches, 750.000 dossiers de criminels.

Mais la classification de ces dossiers ne se fait point au moyen des empreintes digitales seules. Elle se fait au moyen de mensurations de diverses parties du corps, et par des repères -tels que l'empreinte d'un pouce, du pouce droit. Or, l'empreinte relevée sur la vitre de la Joconde était un pouce gauche: d'où impossibilité d'identifier cette trace avec la trace laissée par le pouce de Perrugia sur le registre de classification des fiches de l'anthropométrie.

Car la marque du pouce gauche existait bien, mais dans le dossier seulement, avec beaucoup d'autres renseignements concernant Perrugia, ce qui a permis, une fois qu'on connaissait son nom, d'identifier les deux marques de pouce mais alors seulement.

La fiche anthropométrique et la méthode de classement correspondent assez exactement à une bibliothèque et à son catalogue. S'il manque une indication au catalogue, le livre peut rester introuvable. Si l'on découvre le livre, aussitôt on retrouve tous les renseignements.

M. Bertillon avait l'empreinte du pouce droit d'une part, l'empreinte du pouce gauche d'autre part. Il ne pouvait les identifier parmi les 750.000 marques de pouces de son catalogue et de sa bibliothèque. Le rapprochement fait, il a pu identifier les deux pouces gauches en toute certitude. Et c'est pour nous, aujourd'hui, l'essentiel.

La France tout entière applaudira dans la joie, au retour de son enfant prodigue, et c'est dans la joie que toutes les nations apprendront qu'un des plus beaux chefs-d'oeuvre du génie humain n'est point détruit comme on pouvait le craindre, qu'on l'a retrouvé -et que bientôt on pourra à nouveau venir l'admirer, dans le cadre magnifique du Louvre.

Dès maintenant nous connaissons les détails de l'enquête que le Commandeur Poggi, l'éminent directeur du Musée dos Offices, à Florence, et M. Corrado Ricci, directeur général des beaux-arts en Italie, menèrent avec une si habile ingéniosité, et qui permit d'arrêter le voleur et de retrouver la Joconde.

Il y a quelque temps paraissait dans un journal italien, aux filets-annonces, l'offre suivante:

DÉSIRANT organiser exposition artistique, je suis disposé à acheter à de bonnes conditions des objets d'art de n'importe quel genre. -GERI ALFRED, industriel, Florence.

Ce journal tomba sous les yeux de Vincenzo Perrugia, ouvrier peintre, qui habitait à Paris, dans une cité ouvrière au 5 de la rue de l'Hôpital Saint-Louis. Là, vivait une nombreuse colonie étrangère, où Vincenzo comptait de nombreux compatriotes et même des parents. Là, dans sa petite chambre, cet ouvrier d'aspect fruste cachait depuis plus d'un an le chef-d'oeuvre du Vinci, la merveilleuse Joconde -dans un coffre en bois blanc, à double fond, sous des vêtements et des chiffons.

Ce Vincenzo était une manière d'illuminé qui vivait près de son trésor, attendant une occasion. Il avait la réputation d'un honnête homme. Qui l'eût soupçonné? Il travaillait alors régulièrement, comme peintre en bâtiment, chez un entrepreneur de peinture de la rue Tronçon-du-Coudray. Quand Vincenzo Perrugia eut lu l'annonce de M. Geri, il se décida. Il écrivit.

M. Geri, à Florence, reçut une lettre écrite en italien, qui disait à peu près ceci:

«L'oeuvre de Léonard de Vinci est en ma possession. Il me semble qu'il revient à l'Italie de rentrer en possession de cette oeuvre, puisque son auteur est italien. Restituer ce chef-d'oeuvre à la terre d'où il est venu, aux lieux qui l'ont inspiré, voilà mon rêve!»

La lettre était datée du 29 novembre, et signée Léonardi.

M. Geri douta s'il avait affaire à un fou. Et puis il se décida à demander conseil au commandeur Poggi, directeur des Offices à Florence, qui parut assez incrédule. Tous deux cependant décidèrent d'attirer le mystérieux Léonard à Florence, et de le persuader d'apporter son tableau. Donc M. Geri répondit à l'adresse indiquée, qu'il était disposé à acquérir la Joconde, mais à la condition que ce fut bien l'original du Louvre, et que d'abord il demandait à voir le tableau.

Vincenzo Perrugia répondit, invitant M. Geri à venir à Paris.

M. Geri répondit à son tour qu'il était prêt à tous les sacrifices, mais qu'il ne voulait point venir à Paris. Il offrit Milan comme lieu de rendez-vous. Et il reçut une réponse où Perrugia, -qui toujours signait Léonard- acceptait, indiquait qu'il serait à Milan le 17 décembre. À quoi, M. Geri répondit encore que cette date ne lui convenait pas, et qu'il proposait le 20.

Ici finit la correspondance échangée entre Vincenzo Perrugia et M. Geri. Perrugia, le lundi, avait quitté Paris, emportant la Joconde.

Enfin, -c'était le mercredi soir,- M. Geri vit entrer dans sa boutique un jeune homme, d'allure assez commune, brun, de petite taille, et qui lui déclara d'abord qu'il était le fameux Léonard. Il était habillé proprement sans élégance, l'allure d'un ouvrier. M. Geri remarqua qu'il avait la lèvre supérieure proéminente, ornée d'une petite moustache noire.

Voici d'après M. Louis Albertini, directeur du Corriere della Sera, qui interrogea M. Geri, le dialogue que l'antiquaire et le voleur échangèrent:

Je le regardai, stupéfait.

- Et la Joconde? lui demandai-je.

- Je l'ai avec moi.

- Mais c'est véritablement la Joconde?

- Je vous le garantis.

Et ce disant il se mit la main sur le coeur comme pour faire un serment.

- D'ailleurs, vous verrez, poursuivit-il.

- Où est-elle?

- Elle est en sûreté. Je l'ai apportée en Italie en la cachant si bien qu'elle a pu échapper à la douane. Le tableau est d'ailleurs encore très habilement caché au fond d'un coffret. D'ailleurs, vous verrez…

Léonard prit alors le ton d'un homme qui a conscience d'accomplir un acte généreux et de rendre un grand service à la patrie.

Puis il ajouta:

- Je suis italien et suis très heureux de restituer le chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci à Florence.

Je lui demandai alors où il habitait.

Il me répondit qu'il était descendu à l'hôtel de Tripolitaine.

M. Geri, cependant, tâchait d'amadouer son fou. Il voulait gagner du temps. Et il était intrigué extrêmement. Il prit rendez-vous avec de bonnes paroles pour le lendemain jeudi à l'hôtel de Tripolitaine où il devait amener son ami le commandeur Poggi. «C'est bien, dit Vincenzo Perrugia, parlez au directeur et fixez le prix qu'il me payera la toile».

Le jeudi après-midi, M. Geri et le commandeur Poggi se rendirent à l'hôtel. Le voleur était là. Il occupait une chambre au deuxième étage, il les attendait. Il était inscrit sur les registres de l'hôtel sous le même nom de Léonard, Henri, peintre, venant de Paris. Alors on déballa la Joconde.

Elle était, dit M. Geri, dans un coffret en bois blanc à double fond, dans lequel se trouvaient des vêtements usagés et de vieilles chaussures.

Après avoir enlevé tous ces objets d'une vue peu attrayante, il souleva le fond de la boîte, où nous vîmes le tableau placé de façon qu'il ne pût subir, aucune détérioration au cours du voyage. D'ailleurs, Léonard avait pris ce coffret avec lui en chemin de fer et le portait comme un trésor dont on est jaloux; il faut lui rendre justice sur ce point.

À peine le tableau apparut-il à notre vue que nous eûmes l'impression qu'il s'agissait bien de la peinture authentique de Léonard de Vinci.

Le sourire de Monna Lisa revivait à Florence... Nous éprouvâmes une vive émotion et Léonard nous regardait fixement, souriant complaisamment. On eût dit que c'était lui qui l'avait peint!

Pour nous ôter tout doute qui eût pu subsister dans notre esprit, Leonardo retourna le panneau et nous dit:

- Regardez, voici le sceau du musée du Louvre et le numéro d'ordre.

C'était là une preuve de l'authenticité qui, d'ailleurs, était suffisamment attestée par le caractère de la peinture.

Cependant M. Poggi ne voulait point s'engager à la légère, et pour examiner la toile, il voulait d'abord l'avoir en sa possession. Avec l'aide de M. Geri, il parvint à persuader Perrugia de lui confier son trésor qu'il désirait montrer à M. Corrado Ricci, directeur des Beaux-Arts de Rome, qui devait arriver le lendemain. On promit au voleur une petite fortune si le tableau était authentique. On le persuada. Il prit la Joconde, l'enveloppa dans un drap rouge et l'emporta sous son bras. M. Poggi, M. Geri et lui montèrent dans un fiacre et se rendirent au Musée des offices. Là, Perrugia accepta d'abandonner son trésor au dépôt. Mais M. Poggi avait télégraphié à M. Corrado Ricci à Rome. Celui-ci, au reçu de la dépêche, accourut à Florence. Dès qu'il eût vu le tableau il n'eut aucun doute. Il affirma son authenticité. L'arrestation du voleur fut décidée, et en même temps on télégraphiait l'heureuse nouvelle à Rome, à M. Credaro, ministre de l'instruction publique. C'était le vendredi, dans la soirée.

Cependant la police se rendait à l'hôtel de Tripolitaine et arrêtait Vincenzo Perrugia. Le questeur chargé de cette arrestation, accompagné d'un commissaire de police et de nombreux agents, trouva le voleur qui, inquiet, bouclait sa valise et s'apprêtait à partir. Lui n'opposa aucune résistance. Il semblait étrangement surpris qu'un vol commis en France et accompli dans ce qu'il estimait un but patriotique, pût être puni en Italie. Voici, d'après le Corriere della Sera, à quelles étonnantes et emphatiques déclarations il se livra:

Si l'oeuvre de Léonard de Vinci, a-t-il dit, est reconquise par l'Italie, vous le devez à Vincenzo Perrugia, fils de Giacomo, âgé de vingt-deux ans, né à Domenza, province de Côme, depuis longtemps à l'étranger et particulièrement en France, où j'ai été plusieurs années en différentes fois.

Je suis décorateur, c'est-à-dire dans une certaine mesure, un artiste, moi aussi. Or, j'ai vu la France riche de nombreuses oeuvres dues à notre génie.

En ma qualité du décorateur, j'ai été attaché avec d'autres ouvriers français au musée du Louvre. Aussi plusieurs fois me suis-je arrêté devant le tableau de Léonard de Vinci, dans lequel est si vive l'expression de notre art, du bel art italien, que personne ne réussira jamais à surpasser. J'étais également humilié de voir là-bas, sur le sol étranger, cette oeuvre considérée comme un objet de conquête et j'étais mortifié de la voir regarder désormais comme une gloire française.

Je ne restai pas longtemps attaché au musée du Louvre, mais toutefois, je conservai des relations avec mes anciens compagnons de travail que je continuai à fréquenter en me rendant au musée où j'étais bien connu.

Je pensais en moi-même que ce serait une belle action que de rendre à l'Italie le grand chef-d'oeuvre.

C'est alors que je conçus l'idée du vol. Véritablement, ce ne serait pas très difficile de m'emparer du tableau, la surveillance étant très peu sévère pour ceux qui travaillent dans le musée.

Il me suffirait de bien choisir le moment où la salle serait vide.

Je m'étais rendu parfaitement compte de la façon dont le tableau était fixé au mur.

Un simple geste était nécessaire pour le détacher.

Seul le cadré était encombrant, mais il était facile de s'en défaire.

Le panneau peint par le grand italien, libre de son cadre, ne pouvait être que d'un poids léger pour un Italien.

Peu à peu, cette idée prit corps dans mon esprit et m'apparut d'une réalisation facile.

Enfin je me décidai à la mettre à exécution.

Un matin je me rendis auprès de mes amis décorateurs, qui travaillaient encore au Louvre, et j'échangeai quelques paroles avec eux dans le plus grand calme.

Je profitai d'un moment de distraction pour m'éloigner d'eux et j'entrai dans la salle où se trouvait la Joconde.

La salle était déserte et la Joconde me souriait.

J'étais désormais bien décidé à la voler. En un rien de temps j'eus décroché le tableau du mur. J'enlevai le cadre et je me rendis aussitôt sous un escalier que je connaissais et l'y déposai.

Je le répète, il ne me fallut que quelques instants pour exécuter mon vol. Quelques minutes après, je retournai dans la salle de la Joconde.

Je pris alors le tableau et le cachai sous ma blouse. Puis je m'en allai sans éveiller aucun soupçon.

En effet, personne ne m'avait vu. Personne ne me soupçonna jamais.

Combien de recherches n'a-t-on pas faites! Combien de choses n'a-t-on pas dites et imprimées; combien d'hypothèses n'a-t-on pas émises sur le voleur probable et les motifs qui avaient pu le pousser à accomplir son acte!

On est allé jusqu'à émettre l'hypothèse qu'il pouvait s'agir d'un vandale qui, par un brutal instinct de destruction, avait volé le chef-d'oeuvre pour le faire disparaître.

Mais personne n'a jamais songé à l'hypothèse la plus simple, à celle que le vol pouvait avoir été commis par un pauvre diable comme moi, qui certes voudrait en tirer un profit, mais cependant animé d'un très grand respect pour l'oeuvre immortelle.

J'ai gardé la toile deux ans et demi chez moi, comme une chose sacrée. Je n'osais la tirer de sa cachette, craignant à tout instant d'être arrêté.

Toutes les idées qui me venaient à l'esprit pour en tirer profit étaient une à une écartées comme trop dangereuses.

Après tant de bruit, après tant d'efforts faits par la police pour découvrir le voleur, le silence se fit et plus personne ne parla de Monna Lisa.

L'oubli dans lequel tombèrent le vol et l'oeuvre même me poussa à agir. C'est alors que je pensai à remettre au jour le chef-d'oeuvre du peintre italien, non seulement pour en tirer profit, mais aussi pour donner au monde civilisé et artistique la joie d'admirer l'illustré tableau, et je pensai tout naturellement à ma patrie.

C'est à six heures moins le quart environ que l'on apprit à Rome que la Joconde avait été retrouvée. À Paris, la nouvelle parvenait quelques instants après et dans les deux capitales l'émotion fut semblable. À Rome, on discutait à la Chambre l'élection de M. Federzoni, député de la ville dont l'élection était furieusement contestée. Aussitôt tous les parlementaires présents d'abandonner les soucis politiques pour le sourire de la Joconde. Déjà des éditions spéciales étaient criées dans les rues. Ce fut un rire universel quand on apprit l'excuse du voleur qui voulait se venger de Bonaparte. Le Giornale d'Italia écrivit:

«Le voleur s'est drapé dans un curieux manteau de revendication patriotique. Le truc est puéril autant que grossier. Il est probable que le détenu est l'émissaire d'un vaste réseau de voleurs internationaux qui, depuis quelque temps, opèrent çà et là dans les musées d'Europe.»

Interrogé, M. Credaro, ministre de l'instruction publique, confirmait la bienheureuse nouvelle et déjà le marquis de San Giuliano, ministre des affaires étrangères, en avisait M. Barrère, ambassadeur de France en Italie, qui téléphonait à son gouvernement.

Les remerciements de la France, l'amitié de l'Italie

Le ministre de l'instruction publique a fait officiellement connaître hier matin au Conseil des ministres, qui se tenait à l'Elysée sous la présidence de M. Poincaré, que la Joconde était retrouvée. Le Conseil a décidé qu'un fonctionnaire du ministère des beaux-arts se rendra à Rome, pour prendre possession du tableau et remercier le gouvernement italien. M. Marce!, désigné pour aller à Rome, et qui devait quitter Paris hier soir, a ajourné son départ.

Mais dès hier, le ministre des affaires étrangères a chargé notre ambassadeur à Rome d'exprimer au président du Conseil et au ministre de l'instruction publique d'Italie, ses vifs remerciements personnels pour l'amicale obligeance que le gouvernement royal vient de témoigner au gouvernement de la République dans la découverte de la Joconde.

M. Viviani, ministre de l'instruction publique, a, de son côté, adressé à M. Credaro, ministre de l'instruction publique d'Italie, la dépêche suivante:

J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien agréer l'expression de ma gratitude pour le service que vous avez rendu à l'art en permettant à la France de reprendre possession d'un chef-d'oeuvre immortel dû au génie d'un des plus nobles fils de l'Italie.

René VIVIANI.

M. Credaro répondait aussitôt à la dépêche de M, Viviani en lui exprimant sa vive satisfaction de pouvoir rendre à la France et à l'admiration du monde civilisé, dans les glorieuses salles du Louvre, la Joconde de Léonard de Vinci, l'un des plus grands Italiens, qui a reçu en France les honneurs de la gloire.

M. Barrère, ambassadeur de France en Italie, qui avait déjà reçu les compliments personnels, de M. Giolitti, président du Conseil italien, du marquis de San Giuliano, ministre des affaires étrangères, et de M. Credaro, ministre de l'instruction publique pour cet heureux événement, était déjà allé transmettre les remerciements du gouvernement français au gouvernement italien pour son amical dévouement. Ces entrevues furent longues et cordiales.

De très nombreux visiteurs sont venus, en signe d'heureuse amitié, déposer leur carte à l'ambassade de France.

M. Albert Besnard a reçu également de nombreuses cartes de félicitations et à la villa Médicis on a fêté le joyeux retour du chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci, dans la salle des pensionnaires où est exposée justement une très belle copie de la Joconde.

Le gouvernement italien a décidé de faire à M. Barrère, ambassadeur de France, personnellement, la remise de la Joconde.

Les députés Rosadi, Martini et Fradeletto, et le sénateur Molmenti, ont envoyé au ministre de l'instruction publique une lettre demandant que la Joconde, avant d'être remise à la France, soit exposée à Florence, au rez-de-chaussée du Palais des Médicis, «afin que le peuple de Florence puisse voir dans sa patrie une oeuvre qui, jadis, fut sienne».

M. Ricci, de son côté, s'est fait l'interprète de la population de Florence qui désire pouvoir admirer la Joconde pendant quelques jours.

La Joconde serait placée dans la salle Léonard de Vinci, des Offices, entre l'Annonciation et l'Adoration.

Il est donc probable que le chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci sera exposé, pendant quelques jours, à Florence et à Rome, après accord avec le gouvernement français.

On manifeste à Rome une vive satisfaction que ce soit l'Italie qui ait l'occasion de restituer la Joconde; on remarque aussi la coïncidence qui a fait retrouver à Florence l'oeuvre du grand Florentin.


Sur une pelure d'orange

Article paru le 10 décembre 1913.

Lundi soir, en allant prendre le métropolitain boulevard Richard-Lenoir, M. Pierre Gionetti a mis le pied sur une pelure d'orange et est tombé si malheureusement qu'il s'est fracturé le crâne. Le malheureux est mort à l'hôpital Saint-Antoine, où on l'avait transporté.


Le procès Martin-Gautier a continué hier aux Assises

Brève parue dans le Figaro du 10 décembre 1913.

On parle chiffres, et l'on s'ennuie.

Et il y en a pour de longues audiences encore.

Par Georges Claretie


Un encaisseur attaqué

Article paru dans le Figaro du 11 décembre 1913.

En plein jour, en pleine rue, trois malfaiteurs ont attaqué hier en encaisseur.

Louis Moreau, au service d'une grande Société laitière, passait, le 9 décembre 1913, à onze heures, rue Pelleport, lorsqu'à l'angle de la rue Saint-Fargeau, trois jeunes gens de dix-huit à vingt ans, qui depuis un instant marchaient derrière lui, l'assaillirent. L'un d'eux lui jeta dans les yeux une poignée de poivre, pendant qu'un autre lui assénait sur la tête un coup de clef anglaise.

Il tomba. Les trois bandits se précipitèrent sur lui pour lui enlever son portefeuille. Mais son chapeau melon, très rigide, avait un peu amorti la violence du coup, et, malgré les efforts d'un des voleurs, qui, avec un rasoir, essayait de couper la courroie de sa sacoche, il résista. De loin, des passants qui avaient vu l'agression, accouraient. Les trois bandits durent prendre la fuite sans avoir dévalisé leur victime.

Moreau a dû s'aliter. On croit savoir quels sont les coupables et on les recherche. Le plus curieux, c'est qu'un quart d'heure après, passait au même endroit un encaisseur de la Banque, porteur d'un million.


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